Par Maurice Rebeix – Photographe voyageur
Franchement, comment ne pas comprendre votre impatience ?
Même non-surfeur, comme moi, comment ne pas la partager, ne pas éprouver le même appel, la même simple envie d’avoir du « sel sur la peau » comme le dit si bien Pilou Ducalme. Comment ne pas comprendre votre questionnement inquiet : quand retrouverons-nous enfin l’océan ?
Comme vous, je n’en sais rien et comme vous j’attends…
Mais, si l’on oublie pour un instant le « quand » retrouver la mer au profit du « comment » la retrouver, alors le destin m’a offert en cadeau d’assister à plusieurs reprises à ce qui fut pour moi la plus belle manière jamais vue, jamais vécue, jamais ressentie de renouer son lien à l’océan. Une manière venue de celles et ceux qui inventèrent le surf, « sport royal pour les rois naturels de la terre » selon les mots de Jack London découvrant Hawai’i en 1907.
Tous les ans à Makaha, sur le West Side d’Oahu, un samedi de février, avant même les premières lueurs de l’aube, le parking commence à se remplir. Aussitôt, tentes, bâches, glacières, tables, lits, berceaux, harpons, barbecues : les arrivants s’affairent à l’installation de leur lieu de vie sur la plage. Pour les deux jours qui viennent, ils ne le quitteront pas.
Vêtus de leurs paréos et pagnes traditionnels, le cou ceint de colliers de fleurs ou de tresses faites des feuilles du Ti, plante locale, peu à peu s’alignent sur le sable, face à un océan encore vierge de toute présence, le Chef Coutumier des lieux, Buffalo Kalolo’okalani Keaulana et avec lui son épouse, Leimomi, leur fille, leurs fils et toute leur famille. A cet instant précis, toutes les personnes présentes sur la plage font partie de leur Ohana, leur famille étendue.
Nous sommes au premier jour du « Buffalo Big Board Surfing Classic », évènement unique dans le monde du surf. Plus qu’une compétition : surf, pirogue, longboard, bodyboard, stand up, bodysurf, aiala, paipo, un véritable festival de la renaissance culturelle hawaiienne et des différents jeux de l’océan issus de cette culture.
Le soleil pointe entre les collines, ses rayons dorent le faîte des cocotiers. Peu à peu l’océan s’éclaire. Malgré la foule, seul maintenant le bruit du ressac rompt le silence qui s’est installé. Les visages sont graves, recueillis.
Invoquant le sacré, un des « warriors » qui encadrent l’évènement souffle alors dans le Pu, le large coquillage percé qui sonne comme une corne de brume. Avec ce souffle, il envoie un appel. Alors se présente un des jeunes Keaulana qui a grandi au sein de la communauté. C’est lui qui va aller au large en premier. Mais pas tout seul. À ce jeune homme on confie l’Ho’okupu, le don, le cadeau. Pierre volcanique enveloppée dans des feuilles de Ti, ce petit paquet contient également une part de Mana, pouvoir de l’invisible, mystére du monde polynésien. Le jeune surfeur se saisit du paquet. Puis, il entre dans l’eau, s’allonge sur sa planche et rame vers le large. La foule l’observe. Arrivé au pic, là où brisent les vagues, il s’arrête et lève au dessus de sa tête l’Ho’okupu.
Alors s’avance un Kahuna, un vieux sage. Seul face à la mer, il entonne un chant. Un chant pour l’océan. Un chant de l’Hawai’i immémorial pour appeler les vagues, les inviter, les faire venir. Rien de martial dans cette mélopée, on sent de la douceur, comme la sérénade d’un amoureux à sa fiancée. Quand le chant est fini, on le discerne mal dans le lointain mais le jeune homme lâche l’Ho’okupu, le laisse plonger dans l’eau. Quelques instants se passent, on devine désormais l’Ho’okupu posé sur le fond marin.
Sur la plage, la foule toujours silencieuse attend et reste alignée en une file bien ordonnée. Et voilà que, comme en réponse au chant, une série frise sur le lointain. Le silence se brise. Montent des appels, des sifflets, des encouragements comme si avec sa propre voix on allait faire grossir les vagues. La série commence maintenant à dérouler au pic, le jeune Keaulana s’apprête à prendre la toute première vague de la journée. Il rame… le voilà qui se lève !
Sur la plage, le recueillement a fait place aux cris, aux rires, à la joie. Le jeune homme surfe la vague « all down the line » jusqu’au bord, sans rien perdre, sans rien gâcher du plaisir.
A peine a-t-il sauté dans le shore break, que, fini l’ordre et le silence, tout le monde attrape sa planche, 6 pieds, 8 pieds, 11 pieds, son bodyboard, ses palmes, et c’est la ruée. Surf jusqu’au coucher du soleil, la journée peut commencer, tout s’est fait selon la tradition.
Une tradition très simple au fond : avant de s’y plonger, remercier l’océan pour la joie qu’il va nous procurer. Demander à ce que tout se passe bien pour celles et ceux qui vont y pénétrer. Et, vieil usage de ceux d’avant, toujours donner avant de prendre. Avoir quelque chose à offrir à Nalu, la vague, avant que de prétendre la chevaucher.
Voilà, en patientant, un simple récit de voyage d’un non-surfeur. Ma façon de vous remercier toutes et tous, Gens de la Vague, d’avoir ajouté de façon si propice un peu de sel à la vie de ma famille et de moi-même. Et de nous avoir fait vivre de si beaux moments partagés…
Me Ke Aloha Pumehana !
Maurice Reibex