Les surfeurs s’impatientent …

Hadrien Rozé est un surfeur assidu entre la côte girondine et la côte basque. Il exerce comme médecin-réanimateur au CHU de Bordeaux et par ailleurs fait partie des meilleurs spécialistes mondiaux sur les maladies d’inflammation pulmonaire. Comme tous les surfeurs, il est impatient de retourner à l’eau, mais en même temps il sait ce que représente l’imprévisibilité du covid-19 et ses conséquences.

Questions-réponses le 2/5/2020

En tant que médecin anesthésiste-réanimateur à l’hôpital à Bordeaux, tu as été au « pet » de cette vague du Covid-19. Comment as-tu vécu cela au quotidien depuis deux mois ?

Je l’ai vécu comme un véritable raz de marée où il a fallu très vite, pour faire face à ce coronavirus, être sur tous les fronts (soins, prévention, formation, recherche) avec de nouvelles données chaque jour. D’abord il a fallu se préparer pour augmenter très rapidement et largement le nombre de lits de réanimation pour pouvoir accueillir les malades. Ensuite faire de la formation que ce soit aux soignants pour se protéger des patients contagieux ou aux médecins réservistes pour prendre en charge les patients en cas d’afflux massif.

Finalement nous avons eu peu de cas dans le Sud-Ouest car le confinement a été pris tôt pour notre région et a bien marché (merci). On a donc pu être solidaires en recevant des patients envoyés par avion et par le train depuis le Nord-Est et de l’Ile de France.

J’ai vécu cela comme une épreuve continue intense.

Tu es surfeur également. As-tu rêvé de vagues ? Le surf était-il présent dans ta tête ?

Le surf est ma passion depuis toujours et aussi mon échappatoire qui me permet de trouver l’équilibre avec mon métier de médecin anesthésiste-réanimateur. On doit gérer les patients en réanimation, leur famille, et on a aussi la transplantation pulmonaire qui nécessite beaucoup d’énergie. Quand les situations ont été difficiles à l’hôpital, je vais dans l’océan et ça me vide la tête. Pour la première fois, je n’en ai plus la possibilité alors tu regardes des vidéos de voyages, moi je repensais à Macaroni… mon rêve de goofyfoot.

Si une petite partie des surfeurs (comme des Français) a eu un peu mal au début à prendre le rythme du confinement, il y a eu une bienveillance collective de leur part (comme des Français) à justement être de pair avec la solidarité nationale dans cette bataille sanitaire, alors qu’ils sont plutôt individualistes ? De ton côté l’as-tu ressenti ainsi ? Cela t’a-t-il étonné ?

Tout le monde a respecté les règles du confinement et nous avons été touchés par la solidarité collective derrière les équipes soignantes qui a été précieuse en France dans un moment grave où des gens mourraient. J’ai personnellement apprécié l’engagement de tous les surfeurs pro sur les réseaux sociaux incitant l’ensemble des surfeurs à rester chez eux alors qu’ils étaient eux-mêmes en première ligne de la privation. Ce qui a été difficile dans la prise de conscience, c’est que l’ennemi est invisible et que la côte Atlantique a été épargnée. Mais cela s’explique par le fait que le confinement a commencé dans la région Ouest alors que peu de gens étaient infectés ce qui n’était pas le cas dans le Nord-Est et en Ile de France. Sans le confinement, cela aurait pu s’aggraver très franchement dans notre région aussi. Ces efforts individuels ont collectivement sauvé des vies sur notre côte.

Malgré tout au fil des semaines, certains, un peu libertaires, ont craqué, à leurs risque et périls, et il y a eu parfois une réponse assez radicale des autorités sur les contrevenants de l’interdiction littoral avec des piqués d’hélicoptères et interventions/pv assez Rambo. Certes c’est anecdotique (et dans d’autres cas les policiers ont été cool), mais vu du réanimateur-surfeur, t’en pense quoi (de ces surfeurs comme des hélico) ?

C’est dommage d’être obligé d’utiliser la force pour arriver à faire respecter des règles individuelles qui ont pour but de sauver collectivement des vies. Cette interdiction de surfer est très difficile à vivre pour nous tous et d’autant plus quand on vit en face à l’océan mais le respect de cette privation est essentiel à l’effort collectif. Avec le Covid, ne pas respecter le confinement puis les mesures barrières, c’est prendre des risques pour soi mais aussi et surtout pour les autres et nos proches. On peut imaginer que les personnes qui ont craqué n’ont pas conscience du problème, qu’elles n’ont pas perdu un proche ou n’ont pas vu de personnes arrivant à l’hôpital en s’étouffant, car dans ce cas on relativise et on se dit qu’on ira surfer plus tard. On peut ne pas se sentir concernés étant loin des zones rouges car au final il est clair qu’il n’y a pas eu de vague virale Covid sur la côte ouest grâce au confinement qui a été imposé. Quand l’épidémie a commencé dans le Nord-Est, il y a eu un début d’épidémie à Agen avec une seule personne arrivée de l’Est qui en a contaminé 3 autres et chacune en a contaminé 3 autres etc… Heureusement le cluster a été éteint en confinant immédiatement les porteurs du virus. Cela démontre que tout peut partir très vite avec un seul cas même dans les régions épargnées. Nous sommes en zone verte grâce à un confinement prolongé et bien respecté et nous avons beaucoup de chance pour cela. Plus on patiente et plus le nombre de virus circulants diminue avant de lever le confinement. Ceci va nous permettre de retrouver et de maintenir cette liberté d’aller à l’eau dans la durée.

Tu as écrit une lettre au maire de Lacanau, témoignant de ta «nécessité» de pouvoir surfer de façon responsable pour ton équilibre dans cette période éprouvante pour toi. Au de-là de toi, crois-tu qu’on peut faire confiance aux surfeurs pour être responsables dans leurs comportements du retour à l’eau qu’ils demandent ?

Je soutiens le maire de Lacanau et tous ceux qui veulent permettre la pratique des sports sur la côte (clubs, fédérations, élus, députés…). Il faut permettre cette pratique et l’encadrer localement pour en limiter les risques comme pour les autres sports afin que l’on puisse se changer les idées. Le bien-être physique et psychologique est essentiel et on a besoin de dissocier son travail surtout lorsqu’il est intense avec autre chose. Là, de notre côté, nous avons beaucoup travaillé pour nous réorganiser, pour soigner, pour former sans faire de pause pendant des semaines entières, c’était usant. Beaucoup de soignants autour de moi au CHU et ailleurs ont besoin de cet équilibre qu’apporte le sport, que ce soit du vélo, du jogging ou du surf.

Si la transmission du virus ré-augmente, alors il faudra peut-être reconfiner par zone à chaque nouvelle vague Covid. Si on veut retrouver une vie dans laquelle on a le droit d’aller à l’eau alors il faut que l’on soit bons individuellement et collectivement. Dites-vous qu’à chaque fois que des gens feront n’importe quoi autour de vous, le nombre de virus circulants augmentera et vous risquerez non seulement d’être malades, parfois sévèrement, de contaminer à votre tour vos proches et d’être à nouveau confinés. En cas de cluster vous risquez alors aussi de tous perdre le droit d’aller surfer. Une façon de se motiver pour respecter les règles, sauver indirectement des vies et continuer à aller à l’eau intelligemment.

Les espaces naturels comme l’océan sont propices à la distanciation physique, j’ai confiance en nous pour y arriver sur chaque spot. Il n’y a pas d’opposition entre les autorités et nous, le but est commun : il faut trouver un équilibre de vie avec une épidémie liée à un nouveau virus. Tant que le virus circulera parmi nous, nous ne pourrons plus vivre comme avant.

La situation face au Covid-19 est délicate à gérer pour tout le monde ? Comment vois-tu se combiner vigilance (surveillance ?) et liberté pour que la vie reprenne collectivement et individuellement ?

On navigue à vue médicalement et socialement, difficile de prévoir le comportement responsable de chacun et celui du virus. Ce que l’on sait, c’est que même si l’infection par ce virus est le plus souvent asymptomatique, il y a 5% de formes graves avec des atteintes respiratoires majeures, de l’eau dans le poumon et de l’asphyxie. Cela nécessite beaucoup de places pour accueillir les personnes en réanimation, de l’oxygène, des médicaments et des ventilateurs. Le système de santé est alors rapidement débordé. Les pouvoirs publics ne peuvent pas risquer d’avoir des noyés pour lesquels on n’aurait pas assez de sauveteurs et de bouées pour pouvoir les sauver même si ça n’est que 5 % de la population.

Le coronavirus est un ennemi invisible qui est toujours là, prêt à nuire. Les personnes ne sont pas immunisées et le virus très contagieux. Il faudra tenir la distance, le virus ne s’arrêtera pas au déconfinement le 11 mai, bien au contraire, tout commence avec un contrôle continu de nos pratiques pour y arriver. En réanimation pour ne pas s’infecter par les maladies contagieuses que l’on soigne, on demande à quelqu’un de nous surveiller lorsqu’on sort de la chambre pour s’assurer qu’on respecte bien la procédure. Si on fait une erreur, on peut contaminer les autres soignants et rapidement il n’y aura plus personne pour soigner les malades. Nous devons être surveillés pour être protégés, c’est comme ça, certains peuvent y voir une perte de liberté immédiate, moi j’y vois une condition nécessaire pour maintenir nos libertés enfin retrouvées après le déconfinement.

Si tu avais un cadeau à recevoir qui tombe du ciel en tant que surfeur : un voyage au Mentawai ? Un nouveau thruster ? Une session entre potes ? Une virée à l’aube ?…

Alors j’ai la chance d’avoir une 5’11 neuve qui m’attend à Moliets, shapée pendant le confinement par mon ami Tuto avec qui je suis allé au Mentawai, alors je vais répondre Oui : pour un voyage au Mentawai avec un nouveau thruster entres potes. Mais bon pour l’instant, je rêve déjà simplement d’une petite session à l’aube bientôt à Bidart…

Propos recueilli par Frère « Gibus » de Soultrait alias Socrate de la confrérie SURFINGVOX

Vague de Parlementia dans toute sa nudité. Divine miséricorde pour ces pauvres surfeurs amarrés au sol
Photo Frère Gibus

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