John-John parle à ses ancêtres.
Photo Ture Lillegraven.
Saviez-vous que John John Florence est également un excellent photographe et cinéaste ?
Sauf qu’aucune exposition à ce jour, ne nous a permis d’apprécier son regard, son oeil et sa vision du monde. Que disent ses photos de son surf ? Quels rapprochements opérer entre son art du surf et son art de la photographie ? On n’en sait encore rien !
Comme matière brute, nous ne disposons que de son surf, de son style, de ses trajectoires… pour tenter de comprendre qui est John John Florence et comment il a su élaborer ce surf aussi minimaliste et sophistiqué.
Le personnage semble habité. Son talent est peut-être d’abord là. Dans son rapport avec l’océan, le vent, le sable, les vagues,… et les ancêtres hawaiiens qui le surveillent comme de l’huile sur le feu depuis le Puu O Mahuka Heiau, l’un des lieux les plus sacrés de l’île d’Oahu, qui surplombe la baie de Waimea.
« Homme, souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière »
Genèse, 3, 19
Pipeline est un cimetière. John John ne plante pas d’aiguille dans une poupée vaudou. Il ne pousse pas un caillou sur une table de Ouija[1]. Non, il dialogue avec les ancêtres. « Aller au cimetière, c’est parler aux morts » explique le sociologue Jean-Hughes Déchaux. C’est l’affirmation de l’appartenance des vivants et des morts à une même communauté.
Sa passion de la photographie est juste un alibi pour voler les âmes, et les faire parler.
Depuis son enfance à élaborer des châteaux de sable comme autant de mondes imaginaires, John John Florence est un taxidermiste qui épingle ses photos comme le naturaliste ses coléoptères. Sa trace nous mène à Karl Lagerfeld, lequel aurait semble-t-il, exposé quelques photos de John John avant de disparaître. Son jardin secret est peuplé de voyages et de surfeurs qui l’ont inspiré…
John John Florence est de ces artistes sorciers qui décoraient les parois des grottes pour communiquer avec les esprits de la nature et les ancêtres. Aurochs, bisons, cerfs et bouquetins, ours, rhinocéros et grands félins… John John est une espèce de Sapiens Sapiens. Saisir son surf exige la patiente approche du paléo-anthropologue averti.
Plus intéressé par le « mano à mano » avec la vague que par la lutte contre des adversaires, John John Florence est à l’opposé du courant sportif incarné par l’école « Médina », Son surf « tauromachique » s’est affirmé par des milliers d’heures à surfer Pipeline,
Pour éviter de se faire broyer par la bête, il a appris à l’observer, à l’apprivoiser, à apprécier ses humeurs. Son parcours lui a permis de développer un œil.
John John Florence est d’abord un artiste qui écrit sur chaque vague son imaginaire de surfeur. Toute la tragédie « surfistique » semble tendue entre la nécessité imposée par la vague et une certaine fantaisie désinvolte qui caractérise le style d’un surfeur.
John John Florence fait partie de ces rares surfeurs qui précipitent cette tragédie sur cette fameuse vague de Pipeline à son apothéose. Tantôt, il défie le monstre avec la ferme intention de sortir vainqueur du combat, tantôt il tente des manœuvres insensées où il entre dans des cavernes, conscient qu’il va se faire engloutir, avalé par la bête. Il faut pour cela se savoir seul, c’est-à-dire se rendre prêt à affronter l’inconnu et savoir se multiplier. Il faut parvenir à se mouvoir et à se métamorphoser. John John Florence maîtrise l’art dramatique de la tragédie et de la métamorphose.
Son corps n’est pas « tenu » comme celui immédiatement reconnaissable du surfeur professionnel qui veut montrer qui il est. Ce n’est pas un corps soucieux de soi. Ce corps-là est, de fait, plus modeste et peut-être plus intelligent que les autres. On se demande comment il peut devenir sublime. Le défi, l’élégance transpire dans l’acte, non dans l’intentionnalité ou le paraître. Son surf donne le sentiment d’une certaine lenteur, alors qu’en réalité ce surfeur est extrêmement vif et rapide. Son surf est marqué d’apparitions et de disparitions. Son surf est un jeu entre ombre et lumière.
Lorsqu’il s’envole dans les airs, le temps semble suspendu, ralenti, comme si John John Florence voulait attirer le regard et imprégner sur la rétine ce qui va suivre.
Lorsqu’il surfe les nuages, l’eau se transforme sous ses pieds en « Barbe à Papa ». Son surf n’a rien à voir avec ces gymnastes des mers, raides à la réception qui cassent planches et chevilles.
Avec la vitesse, l’eau devient solide. Rares sont les surfeurs capables de transformer ainsi, le solide en liquide, et le liquide en air. Et voilà qu’il arrête tout, se replie en quelque sorte, regagne l’ombre et redevient l’humble homme qu’il n’a pas cessé d’être. Laconisme et humilité font de cet artiste un personnage dont on saisit difficilement la psychologie. Son surf hypnotise. Ni gai, ni triste. Jamais grandiloquent, jamais rhétorique et pourtant, il se passe quelque chose. John John Florence construit sa virtuosité sur la sobriété de son surf. Ainsi son surf éclate en évènements grandioses, en figures baroques, avant de revenir immanquablement au silence d’une fin de vague.
Ce surfeur s’est donné le temps de penser les limites de son surf et de développer des habiletés afin de l’exprimer dans le cadre contraint de la compétition. Le spectateur est à la fois pris par l’extrême précision de ses trajectoires, qui se situent à mi-chemin entre la norme géométrique d’un enchaînement de courbes, et sa destruction par des ruptures auxquelles on ne s’attend pas.
De cette dissonance naît toute l’émotion de sa créativité. Cette capacité à surprendre par ces ruptures de trajectoires, crée un décalage, une faille par rapport à un surf attendu ou répété. Il semble se jouer du temps en l’allongeant, en l’étirant à souhait, comme si son parcours devait l’amener immanquablement vers le titre de champion du Monde.
Frère Francis
[1] Ouija : planche sur laquelle apparaissent des lettres, les morts feraient passer leur message ainsi en prononçant des mots dans une langue étrangère…
Magnifique et poétique, bravo ! Et toi de qui as-tu volé l’âme la dernière fois que tu as capturé des images ?