Si les plages de Los Angeles font aujourd’hui figure de véritable melting pot, un baigneur blanc et un baigneur noir n’étaient pas traités de la même manière par les autorités américaines jusque dans les années 70. Si les plages apparaissaient comme le lieu de la liberté celle-ci nourrissait les peurs liées à l’interdit des relations sexuelles interraciales, le mélange des corps dans l’espace singulier.
Un détour par la Beach Culture montre le rôle joué par le Duke Kahanamoku au début du siècle dernier comme un ambassadeur du surf et de ses valeurs, en favorisant le lent déconfinement d’une société blanche américaine engoncée dans ses représentations et sa morale.
Restituer à la plage son histoire sociale et politique
Extraits d’Anaïs Kien – le Journal de l’Histoire – France Culture – 01/01/2020
C’est le travail d’Elsa Devienne dans sa thèse sur les plages de Los Angeles des années 50 aux années 70. Dès les années 20 avec le développement des voitures et des transports publics la plage est dans la ville et devient l’emblème de la vie californienne et un élément constitutif de l’identité régional dont s’empare les habitants avec enthousiasme. La plage on l’on se dévoile ne fait pas pour autant l’impasse sur les hiérarchies sociales. Entre les années 20 et les années 70 elle fait l’objet de revendication d’un « droit à la plage » de la part des minorités noires et latino-américaines. Notamment en organisant des « swim-ins » pour protester contre la ségrégation des plages, en se rendant sur une plage ségrégée afin de s’y baigner et, de revendiquer leur droit d’accès à cet espace. Le droit au loisir n’est pas réglé par la fin légale de la ségrégation raciale dans les années 60 les résistances pernicieuses se mettent en place pour limiter l’accès ou le confort des minorités dans un espace de loisir mais aussi dans un espace de spéculation lié à l’explosion du goût pour les joies du bord de mer.
La plage comme lieu de mémoire de l’esclavage
Quitter la plage, c’est un autre aspect de ce cadre idyllique mis en histoire. Guillaume Robillard, dans The Conversation propose un article sur la plage comme lieu de mémoire de l’esclavage dans le cinéma antillais. Pour achever le cliché du « sea sex and sun » des cartes postales caribéennes, Robillard décrit comment le sable du littoral se fait le décor privilégier de meurtre de deuil. La côte est le lieu privilégié de la mort dès le premier film produit et réalisé sur place, celui de Jean-Paul Césaire en 77 Dérives ou la femme-jardin, inspiré de la nouvelle Alléluia pour une femme jardin du poète haïtien René Depestre.
Une morbidité que l’on retrouve dans Sucre amer de Christian Lara, sur le procès d’un affranchi qui a combattu la restauration de l’esclavage en Guadeloupe sur ordre de Napoléon.
La plage est le lieu de la mise à mort ou de l’annonce de la mort lieu, l’endroit où s’échouent les rébellions mais également celui où les esclaves « se cognent contre la mer », la côte représente l’impossible liberté , côte imprégnée de l’imaginaire marron (esclave en fuite), des individus en errance, c’est aussi par là qu’arrive le conquérant européen, le point de départ du génocide amérindien puis de la traite négrière. Le lieu de l’impossible liberté et aujourd’hui selon les mots de l’auteur : « c’est précisément là que les cinéastes proposent désormais de conquérir cette dernière ».
par Anaïs Kien
Pour plus d’informations :
- Guillaume Robillard. « Dans le cinéma antillais, la plage fait écho au passé colonial« , publié le 27 novembre 2019, disponible en ligne sur The Conversation.
- Elsa Devienne. La question raciale sur le littoral de Los Angeles (années 1920-années 1970). Vingtième siècle, Fondation Nationale des Sciences Politiques, 2016, Les gauches et les colonies, pp.109-124.