C’est à la base du surf, un terme intraduisible.Une impression que tous les surfeurs peuvent ressentir, dès leurs débuts dans les vagues.
Prendre une grosse boîte. Littéralement être balayé, détruit, anéanti, exterminé.
En fait dans la confrontation, la vague et l’océan seront toujours les plus forts. Le surfeur a une autorisation temporaire d’évolution sur la vague.
Tôt ou tard à chaque session il faut payer sa dette : pay your due.
Surfer est une activité assez masochiste: la punition est aux aguets, mais le jeu est grisant.
Une belle journée de février
L’océan est lisse avec des séries espacées, en moyenne de 4 à 6 pieds, avec une période assez longue, une barre facile à passer. De longues lignes régulières, une ambiance calme. Assis sur la planche, on éprouve un sentiment de bien-être et de sécurité en surveillant le large. Les premières vagues surfées sont parfaites et la planche glisse en harmonie avec le déroulement de la vague.
Brutalement la vision de l’horizon devient différente, le ciel est comme effacé. La main vient effleurer le visage en balayant les paupières. Quelque chose a changé. Un mouvement, comme un monstre rampant sombre, vient se détacher sur le ciel clair. Une falaise bleue arrive rapidement vers le surfeur. Comme la vague se rapproche, barrant l’horizon, toute sérénité disparaît et laisse place à un sentiment de panique. Une accélération brutale du rythme cardiaque et une rame frénétique vers le large pour gagner le large et éviter la rencontre avec une vague démesurée pour cette session initialement paisible.
Apprivoiser la nature
On se sent tout seul et cela procure un sentiment terrible. La vague est toute proche et la planche remonte sur la lèvre alors que l’on rame furieusement.
La vague parait extravagante et c’est l’image de la grande Vague de Hokusai qui vient à l’esprit.Ou la mythique Vague Errante. Le raisonnement est altéré. L’état d’esprit bascule en mode « au secours ». Le dompteur, dans la cage, piégé par le lion sauvage. Les émotions affluent entre indécision et panique aveugle. Les conseils se bousculent dans la tête. Que faire ?
Essayer de s’asseoir et réfléchir, absurde. Faire demi-tour et ramer vers le bord. Tenter un canard à mi vague en enfonçant la planche dans le mur d’eau opaque. Fermer les yeux et sauter de la planche. Les images de photos effrayantes de Teahupoo ou Pipeline viennent à l’esprit.
Bien sûr on peut ne rien faire, mais c’est bien connu, celui qui hésite est perdu !
Et le pire se produit. Les bras ne fonctionnent plus et l’inévitable survient. Le surfeur est placé dans le creux, la vague vient se dresser au-dessus comme un immeuble à deux étages. Il se produit une ascension comme si une main géante avait saisi la planche. Avec la planche, c’est une ascension vers le sommet de la vague en arrière et de plus en plus haut. Pendant une brève mais merveilleuse seconde une lueur d’espoir arrive au subconscient : ça va passer. Puis un moment horrible, on reste suspendu dans l’espace, une figure pathétique et solitaire. Les bras sont agrippés autour de la planche bien-aimée, seul soutien rassurant et potentielle planche de salut.On est au sommet de la montagne d’eau en mouvement, si seulement on pouvait étre ailleurs, n’importe où ! L’esprit est à la prière, si on est épargné, jamais on ne recommencera !
La descente
L’horrible descente est engagée. C’est parti. La planche et le surfeur explosent dans le bas de la vague comme à 100 km/heure. Ils rebondissent en plusieurs longues secousses agonisantes en venant percuter le plancher aquatique.
C’est la plongée dans les perles, ou plutôt, la descente dans le puits de la mine.
Pour une raison irrationnelle le surfeur ne vient pas toucher le fond alors qu’il est mouliné par la force de l’eau. La couleur a changé du bleu au marron puis au sombre presque noir. Le monde a pris fin. Le surfeur est comme un spectateur dans un aquarium entouré par dix mille bulles autour de la tête.
Si c’était la fin du monde, ce serait un monde noir et blanc peuplé d’écume et de bulles. Après cet instant incongru de réflexion, le réflexe est de revenir à l’action. Le surfeur continue à se retourner sans fin dans la turbulence de l’écume. La surface doit bien être quelque part mais où ?
La planche sera la première à se repérer, dégoûtée par la performance du surfeur. Elle remonte vers la surface comme un harpon. Le nose rejoint l’air libre, pointe à la surface, monte et descend avec un mouvement maléfique.
A bout de souffle
A sa grande surprise le surfeur est intact, en un seul morceau, bien que secoué. A la cheville, le leash est miraculeusement intact. Un signe positif du ciel, le suivre indique la surface. D’abord recroquevillé comme un fœtus en état de sidération, les bras et les jambes se remettent en mouvement : comme une grenouille. Le temps parait une éternité pour remonter depuis le gouffre. A l’approche de la lumière, le souffle parait manquer, l’apnée se prolonge. La surface traversée, une gorgée d’air bienvenue vient chasser la peur .
Si les épreuves paraissent terminées, c’est une désillusion. Le corps semble avoir perdu sa flottabilité normale. Il y a une horrible sensation de succion et une deuxième sensation d’insécurité et de panique. Il faut un certain temps pour en comprendre la raison. L’écume est composée de bulles d’air et à moins d’avoir le don de voler, il faut lutter pour rester à flot et attendre que l’eau soit dense de nouveau sous le surfeur. La deuxième vague est déjà là. Quelques secondes avant de replonger dans l’essoreuse pour une deuxième apnée interminable. La planche est arrachée et le surfeur se retrouve tout seul, une tête d’épingle sur l’océan. La panique revient et le doute sur la survie. Heureusement la deuxième vague a moins d’intensité pour le surfeur qui a dérivé à distance du point d’impact. Avec l’esprit fracturé, lente remontée à la surface et c’est un mélange d’eau et d’air qui vient ventiler le surfeur. Gémissant et crachotant comme une vieille mobylette éreintée, littéralement explosé. Le réflexe de nage et le désir de survie vont permettre de regagner le rivage. Le soulagement remplace le désespoir. Le moral fait le reste. Si les contours et la conscience deviendront flous, le premier gros wipe out restera psychologiquement indélébile.
Apprendre de l’échec
La première règle est de ne pas paniquer. C’est plus facile à dire qu’à faire mais « garder la tête froide » est indispensable pour rester en vie. La panique vous rend simplement physiquement et mentalement inefficace. Cet état est accentué quand on est ballotté dans la mousse ou dans le courant. Au fur et à mesure de l’expérience, un sixième sens semble indiquer le placement et les zones de danger à éviter. Des solutions se présentent pour éviter le pire. Une alternative est parfois de quitter la planche et plonger sous la vague vers le fond en évitant les turbulences. Même si, tôt ou tard dans la session, les meilleurs surfeurs vont affronter un wipe out. Mais l’expérience et l’entraînement vont permettre d’affronter le danger et de repousser les limites.
Entraînement physique et mental
La capacité à nager et l’état d’entraînement sont tout à fait essentiels dans la pratique du surf. Dans un mauvais wipe out le mieux est de plonger vers le bas, se mettre à l’abri des remous et contrôler sa respiration. Il est exceptionnel de rester une minute coincé sous la vague et on peut reprendre régulièrement sa respiration. L’important est de ne pas avoir peur de mettre fréquemment la tête sous l’eau. L’autre conseil consiste à économiser son souffle en dépensant le moins d’énergie possible. La nage, brasse ou indienne, permet également de mieux repérer la succession de vagues et de gérer son souffle et la progression. Le crawl offre moins de contrôle et demande plus d’énergie. Un entraînement au bodysurf est particulièrement utile. Même un nageur moyen peut rester à flot longtemps s’il ne panique pas.
Avec le temps et les expériences de surf passées sur de nombreuses plages et dans de nombreux pays, la mémoire enregistre,comme une bobine de film. Un mauvais wipe out a une beauté, étrange et fascinante, liée au souvenir d’une dangereuse vague magnifique et mystérieuse.
Ref : Surfer Today.The inevitable wipeout : a lesson learned .