Plages dynamiques – de la dynamite

Photo : Massimo Vitali

La notion de « plage dynamique », portée par les élus du littoral implique un changement radical de nos habitudes sur la plage. Si l’on comprend bien la volonté de ceux qui sont à l’origine de ce concept, il serait étonnant que les usagers de la plage, baigneurs comme surfeurs, ne boivent pas la tasse, laissant un petit arrière goût amer et salé sur ce qui nous attend. La plage dynamique ne serait-elle pas de la dynamite ?

Il ne s’agit pas ici de dynamiter ce projet bienveillant mais d’interroger des mesures qui relèvent plus de la police des plages et des activités nautiques que d’un appel à la responsabilité individuelle et collective ! Proposons ici une vision alternative !

En effet, hors période de confinement, nous parvenons le plus souvent à partager l’espace de la plage avec un grand nombre d’individus sans avoir besoin de nous parler. C’est le cas lorsque nous allons sur une plage très fréquentée et que nous nous déplaçons sans nous toucher pour trouver un petit carré libre où poser draps de bains et planches à bonne distance du voisin.



L’un des chercheurs qui a proposé un nombre important de pistes d’analyse dans ce domaine est l’anthropologue états-unien Edward T. Hall (1914-2009). Celui-ci s’est attaché, dans les années 1960-1970, à fonder un champ d’études, la proxémie, qui s’intéresse à l’observation du réglage des distances physiques entre les individus dans la vie quotidienne. Nombreux sont les étudiants en architecture, en sciences de la communication ou bien encore en robotique à avoir lu La Dimension cachée (Le Seuil, 1971).
Dans cet ouvrage de vulgarisation, l’anthropologue tente de présenter de manière synthétique et parfois provocante les résultats de ses recherches. L’un des concepts que Hall propose et qui est particulièrement en jeu dans le bouleversement que nous vivons en ce moment, c’est « l’espace informel ».
L’espace informel regroupe pour Hall toutes les situations au cours desquelles les individus sont amenés à régler la distance physique entre eux, par exemple lors d’une conversation entre collègues devant la machine à café, lorsque deux amis se promènent dans la rue ou bien encore lorsqu’une famille s’assied sur un canapé pour regarder la télévision.
Ce réglage est bien sûr contraint par l’environnement et les objets qui s’y trouvent. Sur une la plage bondée, par exemple, il est parfois difficile de choisir sa distance physique par rapport aux autres.

Pour autant, ce réglage de la distance physique entre les corps des individus comporte aussi souvent une part de liberté, selon la fréquentation de la plage. La thèse de Hall consiste à affirmer que loin d’être le fruit du hasard, ce réglage relève d’abord d’un code culturel partagé par tous les membres d’un groupe social donné. Les Britanniques, Espagnols, Italiens, Japonais, Brésiliens, Australiens ne partagent pas les mêmes codes sur la plage comme dans l’eau.  

Nos voisins surfeurs espagnols et italiens par exemple, sont souvent bruyants à l’eau. Hors de l’eau, sans s’en rendre compte, ils ont tendance à pénétrer dans notre espace intime, au point ou cela peut parfois créer certaines tensions. Brésiliens, Israéliens sont également assez facilement identifiables…

Depuis l’époque où Hall a proposé sa théorie, le monde de la plage s’est globalisé culturellement et les surfeurs ont tendance à se ressembler davantage, quel que soit le pays. Mais l’existence d’un code partagé qui rend efficace la gestion des situations de la vie quotidienne à la plage et dans l’eau continue néanmoins évidemment à exister. Or c’est ce code qui semble justement en ce moment perturbé par l’instauration brutale de la distance de sécurité fixée à au moins un mètre entre les individus et par l’instauration des règles de « plages dynamiques ».

Du point de vue de la pure gestion des déplacements, de l’organisation des heures d’ouvertures, des parkings, des files d’attentes, des passages identifiés de ceux qui vont à la plage et de ceux qui en partent, …. il paraît impossible de prendre en considération tous ces paramètres pour fixer des règles. En fonction du temps, des vagues, des marées, des vacances, de l’affluence, du vent, comment organiser et contrôler les flux et les comportements pour maintenir une distance et densité par m2 acceptable ?



BIG BROTHER fait trempette…
« PLAGE DYNAMIQUE » Quel beau concept…
il ne reste plus qu’à limiter la durée de l’accès aux vagues et à le faire payer et ils ré-introduisent l’idée de la piscine à vagues si difficile à implanter sur la côte…
Je sais, je sais, je vois le mal partout – Dessin Yann Renauld

A moins de faire des petits pâtés de sable ou dessiner des cercles blancs en damier comme à la gare Montparnasse pour que chacun reste à la bonne distance de l’autre, chacun optera pour sa propre distance de sécurité, laquelle pourra être interprétée par les voisins comme adaptée, excessive ou bien insuffisante. Chaque situation devra faire l’objet d’une négociation spatiale laquelle pourrait basculer rapidement dans les friction et insultes. Le problème survient essentiellement de cet agacement quand nous avons le sentiment d’être envahi dans notre zone d’intimité, sur notre territoire familier, sur notre plage, …

Mais où sont-ils passés ?

Quatre tactiques sont généralement adoptées :

– Faire partir ou reculer les « envahisseurs » : cela peut marcher mais demande de la diplomatie ou une bonne dose d’autorité, et attention au retour de bâton !

– Partir pour un endroit jugé plus propice à notre état d’esprit du moment simple mais parfois difficile et certainement frustrant quand il s’agit de renoncer à son spot ou à sa plage.

– Entamer des échanges avec ses voisins pour créer un espace collaboratif et en faire des personnes acceptables dans notre zone d’intimité : je leur parle, ils sont moins étrangers, je peux donc accepter leur proximité physique sans la subir. Cette tactique demande une certaine disponibilité d’esprit et surtout, ne dépend pas que de nous, mais aussi des autres qui n’ont peut-être aucune envie de nouer des liens, et pourraient ressentir la prise de contact comme une agression.

– Fermer les écoutilles : mettre un masque sur les yeux, sur la bouche, brancher son iPod, faire baisser son niveau d’attention à l’environnement par tout subterfuge qui nous convienne. Bref, nous isoler du monde et faire comme si les autres n’existaient pas.

In Life’s beach photo Martin Parr

En visualisant ces quatre situations, on comprend qu’elles dépendent hautement du contexte, mais aussi de l’humeur du moment. Mais si l’on veut préserver la liberté sur la plage et dans l’eau, la meilleure option reste d’entamer l’échange avec ses voisins. Avec le temps, nous devrions assister à un changement de nos habitudes dans nos distances aussi bien avec nos proches qu’avec les personnes qui nous sont inconnues, et ainsi rendre la vie à la plage plus fluide et agréable dans le respect des précautions sanitaires. Le défi est de taille : inventer, pour un temps indéterminé, des manières de maintenir la qualité des liens qui caractérisent la vie à la plage et dans l’eau.

Communiquer, informer, informer, responsabiliser, faire confiance…

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